Albert BERGERE

Sergent BERGERE Albert, de la 2e Cie du 1er Bataillon de Chasseurs à Pied 
21e Corps d'Armée – 43e Division – 86e Brigade.

Ce carnet a été écrit après blessure à l'hôpital temporaire n° 2 à FOIX, ancienne école normale de garçons (Ariège). Ce carnet couvre la période du 27 juillet 1914 au mardi 15 septembre 1915.
L'auteur de ces quelques pages est disparu le 25 septembre 1915 pendant la bataille d'Artois.

Il croise la route du 41eme le 25 août 1914 et sur recommandation du Capitaine LEHAGRE, il reste avec le bataillon jusqu'au 28. Le 41, unité dérivée du 1er Bataillon est en soutien dans la région de Rambervillers comme nous l'indique le JMO du Bataillon.

"1er Aout, rien de nouveau ; l'on reconnaît les positions de la section qui est la 4e ; à 10 h cinq réservistes allemands se rendent. L'on s'attendait à une attaque. 19 h l'on fait des tranchées puis l'on couche dedans en attendant l'ennemi. 20 h les cloches du village sonnent la mobilisation générale, moment de joie parmi les Chasseurs qui croient que l'on va partir à la frontière. 21 h nous sommes toujours dans les tranchées, les réservistes arrivent, on a du mal à se faire entendre pour les affecter à leur escouade ; ils sont très éméchés et ne veulent pas se coucher, on y arrive quand même, nous couchons à la belle étoile…

Dimanche 2 Aout, réveil habituel, nous apprenons que 68 Uhlans se rendent au 10e Bataillon de Chasseurs qui se trouve au Ban De Sapt.
L'assassinat de Jaurès par un individu originaire de Reims, quelques nouvelles non officielles, Berlin en révolution. Après la demande de la France, l'Allemagne nous céderait l'Alsace-Lorraine sans un coup de feu. La joie règne dans les rangs et nous sommes impatients de partir se mesurer à l'ennemi. Jusqu'à 14 h rien d'anormal et tout le monde attend les ordres. 17 h se tenir prêt à partir, rien de nouveau jusqu'à 21 h on se couche.

Lundi 3 Aout : Alerte à 24 h, nous partons dans la nuit prendre nos positions de combat côte 531 au S.O. de Senones, les allemands ont traversé la rivière et se dirigent vers Laveline. Le général de Brigade a l'intention d'aller au devant d'eux et de les attaquer. Nous sommes en 2e ligne, sont en 1ère ligne les 3e et 10e Bataillons de Chasseurs à Pied.
12 h, fausse alerte, ce n'était qu'un faux bruit ; nous repartons prendre la même place que nous occupions la veille à La Petite Raon.
Nous traversons Senones dans le calme et la tristesse de la population qui nous regarde passer ; nous commençons à être fatigués et puis la chaleur nous accable, les réservistes restent en arrière car ils ne sont pas entraînés.
Je fais 10 kms avec deux sacs sur le dos, nous arrivons à la Petite Raon à 14 h ; on se change et l'on se nettoie.
A 20 h tous les feux de cuisine doivent être éteints, je suis sergent de jour.

Mardi 4 Aout 1914 : nous sommes réveillés à 2 h et nous attendons ; à 8 h on apprend que des Uhlans qui avaient traversé la frontière près de Blamond, ont été mis en déroute et leur officier tué.
Jusqu'à 17 h on apprend que la déclaration de guerre est officielle et l'on est toujours prêt à partir.

Mercredi 5 Aout : tranquilité complète, sauf une escarmouche qui a eu lieu au col de Hantz ; un sous lieutenant de Chasseur à Cheval qui commandait une patrouille est blessé, un de ses cavaliers désarçonné dans la fuite rentre à pied, son cheval 3 h après.

Jeudi 6 Aout : on apprend que l'ennemi est au col du Hantz, et que peut-être avant la nuit l'engagement aura lieu.
Nous avons devant nous le 7e Corps d'Armée de Munster .
17 h, on apprend qu'une patrouille de la 3e Cie commandée par le Lieutenant LASNIER a accroché l'ennemi ; 4 prussiens sont tués, aucun chez nous n'a été atteint ; on entend quelques coups de feu en avant. 


Vendredi 7 Aout : rien de particulier ; 13 h la 4é section part remplacer la 3é qui tient le petit poste au moulin de la Rochère.
Je suis désigné comme chef d'un petit poste à la Bugeaud et, détaché au Chacheux à l'embranchement des routes qui vont à Belval. A peine installé, un chasseur à cheval arrive au grand galop et nous prévient qu'une colonne de cavalerie et d'artillerie ennemie s'avance sur nous.
Nous partons prendre nos dispositions pour les arrêter, 30 minutes se passent, le chasseur à cheval revient et nous prévient que c'est faux ; ce bruit avait été lancé par le Maire de Belval ; il est aussitôt arrêté et emprisonné pour avoir lancé de faux bruits et ainsi provoqué le déplacement des troupes et interrompu leur repas.

Le samedi et dimanche 8 et 9 Aout : Assez tranquille, et bien soignés par Mme X.... du café des Chacheux, de qui je garde un bon souvenir d'elle en partant.....
A 13 h nous devons partir pour Frapelle à 28 kms, plus au Sud d'où nous sommes; nous arrivons à 11 h du soir, l'on touche les distributions de vivres et la cuisine se fait, à 1 h du matin tout le monde est couché.

Lundi 10 Aout: réveil à 6 h, l'on part faire des tranchées au Nord-Ouest du village pour défendre l'entrée. Jusqu'à 12 h rien de particulier, nous mangeons la soupe et départ à 13 h 30. Le 3é Bataillon qui se trouve en avant de nous, prend contact avec l'ennemi qui avance sur Provenchères.
Nous sommes en deuxième ligne et en position d'attente sur une côte et dans un bois de sapins au Nord de Frapelle. Pour la première fois, nous entendons les obus siffler à nos oreilles ; une batterie du 12é est placée à 200 m en arrière et tire par dessus nous; le télémétreur remarque à 4 kms avec ses jumelles un groupe de Uhlans qui s'avance sur Saales, ville allemende frontière; il les compte un par un, 21 qu'il compte et feu ! L'obus éclate au milieu d'eux; le capitaine content du pointeur lui donne 5 francs !!
Pendant ce temps, le 3é Bataillon se bat fortement jusqu'à 19 h , la fusillade est terrible ; elle s'arrête quelques instants pour reprendre de plus belle.
A 21 h, à ce moment je pars en patrouille pour retrouver la 1é demi-section de ma section qui a du s'égarer; je reviens avec elle à 22 h ;on entend les mitrailleuses qui crachent la mort jusqu'à minuit; ça se calme enfin il est temps, douze heures de combat pour la 1é fois !!
Nous passons la nuit en bivouac, et dès 7 h la fusillade reprend; toujours la même danse, l'artillerie est en mouvement, les allemands eux ne doivent pas en avoir car on ne les entend pas tirer; à 9 h çà se calme. Nous avançons sur Provenchères direction l'ennemi, il est 12 h , le 3é Bataillon fait sa soupe, nous leur demandons le résultat de la bataille : 7 tués dont un sergent et 20 blessés dont un capitaine et, les Prussiens repoussés. Nous passons à l'emplacement que l'ennemi occupait encore le matin; c'est triste il y a des traces de sang, des trous ou sont ensevelis les morts, c'est la guerre..
Nous arrivons à 19 h à Bestin, petite bourgade à 2 kms de la frontière, la 4é section part s'installer en petit poste sur la route qui conduit à Saales; nous couchons sur la route au pied d'un tas de sacs et de fusils abandonnés par l'ennemi.
Je ne veux pas oublier l'aventure qui m'est arrivée, en arrivant par cette route qui est bordée de grands sapins, dans l'obscurité, j'aperçus ce tas de sacs et, croyant que c'était des cadavres entassés les uns sur les autres, je m'approchais et donnais un coup de pied, c'était raide; je me baisse pour toucher de la main, mais j'eus un mouvement de recul et un frisson me passa dans tout le corps; c'était un sac que je venais de toucher. Ils sont tous faits avec de la peau de chamois et moi je croyais avoir touché un cadavre !!
Remis de mes émotions, je partis me coucher deux pas plus loin.


Vendredi 14 Aout : départ 5 h, ma compagnie est en pointe d’avant-garde de la 43e Division, direction Saint-Blaise ; on suit la ligne de chemin de fer, arrivé à 500 mètres devant le cimetière de cette ville, les Chasseurs à Cheval nous signalent l’ennemi dans la ville.
Le capitaine donne l’ordre d’avancer toujours et 200 mètres plus loin, nous étions toujours colonne par quatre, l’arme à la bretelle, une salve nous abattit sur la route et continue ainsi pendant plusieurs minutes interminables. Une balle vint taper dans ma gamelle, traversant mon sac et s’arrête dans mes biscuits ; une autre ne fit que traverser le pan de ma capote.
Beaucoup de camarades étaient comme moi ; j’entendais les uns crier, d’autres dire « je suis touché » ; il nous était impossible de lever la tête pour tirer un coup de fusil, chacun put se tirer de la mort en longeant un fossé rempli d’eau pendant 200 m ; la compagnie fut dispersée.
Pour la première fois que nous voyons le feu, ça pouvait compter !
Il était 6 h, la fusillade commença, les autres compagnies ayant pris leurs dispositions pour nous secourir, à 11 h le village était à nous après une charge à la baïonnette.
Des deux cotés le canon fonctionnait, à 12 h nos batteries furent immobilisées et impossible à nos artilleurs de pouvoir tirer, ils se retirent et laissent leurs pièces en batterie, pendant ce temps une batterie du 62e, bien dissimulée vint à leur secours ; malheur pour les Allemands qui en l’espace d’une heure durent abandonner à leur tour une bonne partie de leurs pièces.
La fusillade continuait toujours, nous étions ivres de poudre ; à 18 h l’on vit sur le toit d’une ferme s’agiter un drapeau blanc, puis deux, puis trois et, de toutes parts ils émergeaient ; la fusillade se calma, nous avançâmes, les Allemands commençaient par se rendre.
A 150 mètres de leurs tranchées deux mitrailleuses qui avaient agité le fanion blanc, se remettent en fonction et fauchent les hommes de la 6e compagnie qui se trouvaient devant eux.
A cette distance sans abri, ni couvert, il ne fallait pas rester là ; ces braves partirent à l’assaut, mais les brigands ne restèrent pas là, s’enfuirent, emportant leur matériel.
Ils avaient tué 10 hommes et blessé 15 autres.
Nous avançâmes jusque sur la crête, quel spectacle ! Sur notre chemin des tranchées pleines de munitions, d’armes, d’équipement et des blessés, il n’en manquait pas non plus.
Nous trouvons un sergent-major, deux capitaines, et une quantité de morts, tués par nos obus, ils sont déchiquetés. Dans une tranchée pleine de cartouches, les Allemands croyaient rester dans cette position une huitaine de jours, mais il n’y réussirent pas.
Nous couchons sur place ; toute la nuit un brouillard épais tombe sur nous. On entend les blessés demandant du secours et les mourants râler, personne ayant eu le temps de leur porter secours.

Samedi 15 Aout : Sans avoir trop dormi, le froid et la fraîcheur nous en empêchant, on nous annonce que la Cie a eu deux tués (Noël et Roze), 26 blessés. Le lieutenant Raton est mort lui aussi… Chez les Allemands, ils ont 600 tués.
Des patrouilles partent et reviennent de tous les côtés ; les uns avec des motocycles, d'autres 150 chevaux d'artillerie équipés et montés, 17 canons abandonnés par l'ennemi et le plus beau, le lieutenant LASNIER avec un réserviste de sa section rapportent le drapeau du 132e de Ligne Allemand !
Il est 8 h nous partons faire le café dans une ferme à 200 m de notre position. Il était bientôt terminé lorsque quelques balles viennent nous siffler aux oreilles ; rapidement je cours prévenir le capitaine qui m'envoie avec une patrouille à la recherche de ces individus.
Nous n'avons trouvé que des blessés qui n'avaient pas été relevés ; ça ne pouvait être qu'eux qui avaient tiré, en effet au moment ou l'on arrive sur un de ces derniers, il jette son fusil et on peut constater que sur les cinq cartouches de son chargeur deux avaient été tirées ; le misérable nous tendit son quart en nous disant « Bon Kamerad » ; justice lui fut faite ; pas de pitié pour ces brigands, trois autres subirent le sort de ce dernier.
Nous rentrons et l'on restera ainsi jusqu'à 15 h ou nous recevrons l'ordre de se porter à la côte 642 au Sud de Blancherupt.
La pluie se met à tomber, à 17 h nous essayons de faire la popote, mais la pluie tombe toujours ; l'on construit des abris avec des branches de sapins et de genêts ; la pluie traverse tout, l'on est mouillé de partout jusqu'aux os.
A 21 h nous nous dirigeons sur Blancherupt pour s'abriter plus sûrement, se faire sécher et se reposer un peu, mais trop fatigués, on s'endort n'importe où.


Dimanche 16 Aout : A 6 h nous sortons hors des maisons pour faire des grands feux pour se faire sécher.
A 9 h, en route, nous passons Fouday ; à la gare de cette ville, un Général de Division Allemand s'est suicidé la veille, se voyant prisonnier.
Nous arrivons à Rothau à 11 h 30, nous faisons la grande halte devant l'église, repos jusqu'à 14 h.
Pendant ce temps les téléphones sont démontés ainsi que la poste qui est gardée militairement ; les habitants sont heureux de voir des soldats Français ; à 14 h nous partons par La Claquette, Maison-Neuve, Vipucelle,Vorbruck ; nous arrivons à Schirmeck à 17 h, l'arme sur l'épaule, la population nous acclame.
Nous cantonnons dans cette ville à l'extrême Est après avoir fait des tranchées.

Lundi 17 Aout : Réveil à 5 h, tout le monde à la toilette, la cuisine est faite à 13 h ; repos obligatoire jusqu'à 17 h , ensuite couché à 20 h ; à minuit alerte ! Nous sommes à 25 kms du fort de Mutzig.

Mardi 18 Aout : 1 h 30 du matin en route, nous ne savons pas ou l'on va… On passe à Wackenbach, Grandfontaine, le Donon (altitude 1008 m) et tout cela sans pose, nous sommes fatigués et nous n'avons fait que 18 kms.
Nous continuons notre route tournant le Donon, à notre droite une maison forestière allemande qui vient d'être fouillée par des hommes du 21e Bataillons de Chasseurs ; et voici l'aventure qui est arrivée à un caporal de ce Bataillon.
Il venait de recevoir l'ordre de fouiller la maison avec son escouade ; en arrivant la patronne était devant la porte ; il lui demande qui était dans la maison ? Elle répond qu'il y a que son mari ; le caporal demande à rentrer, au même instant, il reçoit un coup de revolver dans la tête, tué net, le camarade qui le suivait, lui, est blessé. Le garde était caché derrière la porte, deux hommes s'en emparent et l'emmènent, les autres pénètrent dans la maison et trouvent six uhlans qui étaient en train de se restaurer, ils tentent de fuir, feu, deux sont tués et les quatre autres blessés.
Nous faisons le café sur les lieux de cet accrochage, il est 13 h ; après ¾ d'heure de pose, l'on repart pour Vallérysthal, à 16 h on fait la soupe. Nous venons de faire 45 kms sans manger, à 8 h après avoir pris chacun une botte de foin nous nous couchons dans un bois à 3 kms plus loin, à 22 h tout le monde dort écrasé de fatigue.


Mercredi 19 Aout : l'on se réveille de très bonne heure car il ne fait pas très chaud ; nous formons un petit poste à 2 kms en avant vers l'Est ; à 10 h plus de contact avec notre Bataillon, le capitaine se met à la disposition du 10e Bataillon en route pour Watersthal*, à ce moment la brigade coloniale formée des 5 et 6e Régiments est engagée ; la bataille semble être bonne pour nous.
A 18 h, les Allemands reculent et nous passons en première ligne. Le 71e Bataillon de Chasseurs à Pied (des réservistes) subit beaucoup de pertes.

Jeudi 20 Aout : Une heure après s'être restaurés à Troisfontaines, nous allons prendre position toujours à l'Est de ce village, sur les hauteurs qui l'entourent. A 8 h , les 3e, 4e et 5e Cies sont en ligne, le canon ennemi semble être fortement en action, en effet nous apercevons au loin nos batteries qui tirent mais elles sont criblées d'obus et, ne pouvant rester, changent une dizaine de fois de positions où aussitôt repérées elles sont bombardées. Elles ne peuvent plus tirer ; à ce moment, les canons allemands changent d'objectif et se mettent à nous bombarder, mais avec plus de bruit que d'effet.
Nous sommes en réserve et les obus éclatent pas bien loin de nous, notre commandant l'échappe belle, un obus vient d'éclater tuant un infirmier et blessant le médecin-major auxiliaire ; nous commençons alors à battre en retraite, il est 16 heures.
Nous nous replaçons trois kilomètres en arrière, les compagnies qui étaient en ligne nous rejoignent bientôt, mais le canon ennemi nous suit, une batterie française qui est à notre droite et qui tire depuis le matin, nous fait supporter les conséquences des obus qui sont dirigés sur elle et qui viennent éclater à nos talons, sans atteindre personne heureusement.
A 20 h nous sommes à Watersthal, prenant position à l'Est du village et nous couchons sur nos positions de combat.
Le terrain est très favorisé pour nous ; nous sommes flanc-garde de l'Armée de Nancy commandée par le Général Dubail.

Vendredi 21 Aout : Le combat recommence de très bonne heure, avant le jour, ce sont toujours les 105e de Ligne qui reculent devant 500 Prussiens, les deux artilleries adverses s'échangent leurs obus.
Heureusement nous sommes en sécurité, invisibles, nous voyons tout ce qui se passe.
Devant nous une compagnie du 17e Chasseurs est complètement mise en déroute par une batterie allemande, deux compagnies du 158e de Ligne subissent le même sort, un obus éclate en plein centre de la colonne et en laisse six sur la route, et sept sont blessés; une femme fouille les morts, les dévalise, ainsi que les blessés qui ne peuvent pas se défendre ; nous ne pouvons pas tirer dessus, au risque de tuer nos blessés !!!
A 16 h , l' on se retire encore, nous passons à St Quirin, on trouve la frontière, mais harassé de fatigue et n'en pouvant plus malgré mon courage, je m'arrête ¼ d'heure.... Le 12e d'Artillerie vient derrière la colonne, je monte sur l'affut d'un canon sur lequel je m' endors.
Je me réveille à Cirey Sur Vezouze, nous sommes en France, il est 2 h 30 du matin et le samedi 22 Aout...

J'ai perdu mon bataillon, mais j'apprends qu' il est cantonné à Petitmont 4 kms plus loin ou j'arrive à 3 h 30 avec une quinzaine d'hommes que j' ai rassemblé et qui, comme moi étaient fatigués.
Aussitôt arrivés, on se couche, pour se réveiller à 9 h ; les hommes font la popote . A 14 h l'on quitte le village allant nous placer dans les bois de la Tour, 3 kms plus loin au Sud.
L'ennemi qui nous a rejoint bombarde Cirey Sur Vezouze et Petitmont que l' on vient de quitter ; bientôt ils battent les bois, les obus éclatent près de nous sans nous atteindre .
A 18 h, l'on quitte cette position, nous reculons encore, on arrive à Parux, tout le village est incendié ; plus d' habitant, l'on trouve dans une maison qui a échappé au fléau le cadavre d'un vieillard qui a été assassiné, son petit chien qui veille sur lui, couché au pied du lit sur une poignée de paille.
Il est 19 h, nous venons de recevoir l'ordre d'attaquer l' ennemi pour connaître la quantité de leurs forces ; on arrive alors au bois de la Tour, il est 21 h on se couche, on attend l'Allemand ; minuit, debout et l' on quitte cette position, il fait froid, un brouillard épais tombe sur nous.


Dimanche 23 Aout : 3 h 30, nous arrivons à Angomont ou l’on se repose jusqu’à 9 h. De 9 h à 10 h, on mange une soupe et l’on repart prendre position à l’Est de Neuviller.
Il est 14 h, nous creusons des tranchées dans un bois. Une patrouille de la 3e Cie accroche et neutralise une patrouille de Uhlans qui pénétrait dans le village ; à cet instant une compagnie entière allemande y pénètre à son tour et les obus, les shrapnells éclatent au dessus de nous, les branches amortissent les coups, les balles sont pas dangereuses, elles ne font l’effet que d’un bon coup de marteau sur la tête ; j’en reçois une sur la tête et une au bras, l’on se retire sous les obus, nous passons à travers des balles, pour arriver à Neufmaisons.
Bidard est tué, le sergent-major Varlet est blessé grièvement. Les Allemands bombardent Badonviller, une usine de faïences est en flammes et plusieurs habitations.
Nous prenons position à l’Ouest de Pexonne, il est 17 h. Couchés dans les tranchées après avoir mangé une boîte de conserves et deux biscuits, sans eau, impossible d’en avoir.
A 23 h, on entend pendant ¼ d’heure une formidable charge à la baïonnette, le clairon sonne la charge, ce doit être des Chasseurs à Pied car ils chantent la Sidi-Brahim, notre chanson préférée.
Après cette charge et une longue fusillade, ça redevient calme, il est 23 h.
Pexonne qui était occupé par l’ennemi est repris par nous, mais il a été bombardé et plusieurs maisons sont encore en flammes.
Nous quittons nos tranchées pour aller nous reposer jusqu’à 4 h dans un garage.

Lundi 24 Aout : 4 h 30, nous prenons position au Nord de Pexonne jusqu’à 10 h, ensuite retour à nos tranchées faites la veille, jusqu’à midi.
Rien de nouveau, tout est calme, soudain un officier Allemand passe la crête à 600 m, en avant de nous, une sentinelle tire et le descend de cheval, il est tué. Au même instant, une rafale de balles nous arrive sur les reins, sans atteindre personne et cela recommence ainsi pendant 1 h et puis le canon s’en mêle, les obus éclatent au pied de nous. Forgeard est tué, ainsi que Lefevre ; nous sommes encore obligés de reculer après avoir subi 4 h sous cet enfer de balles et de mitraille.
Nous nous dirigeons sur Thiaville, le canon nous poursuit jusqu’à ce village qui est situé sur la Meurthe, il est 16 h, je suis malade, le capitaine me laisse avec deux hommes, nous traversons la rivière quand vint à passer un aéroplane allemand, il lance une bombe sur un groupe d’infanterie, sans l’atteindre.
L’ ambulance du 17e Bataillon de Chasseurs vint à passer et me prit dans la voiture et m’emmena à Ménil à 6 kms de Rambervillers, j’y arrive à 23 h, je me couche épuisé.

Mardi 25 Aout : Le Médecin-major m’examine et me fait évacuer sur Rambervillers. Je pars à pied, il est 9 h quand tout d’un coup, une fusillade éclate non loin de moi, puis les obus, c’était le 163e d’Infanterie de Nice qui reculait devant l’ennemi, sans avoir reçu l’ordre, oh les froussards, de tous côtés ils fuyaient abandonnant même leurs armes, c’était une complête déroute !
Ils me rejoignirent bien vite, et je dus subir leur sort ; les obus éclataient toujours quand tout à coup, je reçois un éclat dans les reins qui me coucha à terre. Je croyais avoir les reins cassés, mais non après m’être remis du coup, je constate qu’il n’y avait qu’une contusion ; je repris ma route comme je pouvais, ne pouvant pas tenir mon fusil à l’épaule, mais je ne voulais pas l’abandonner ce vieux camarade N° 41.001 P.
Enfin tant bien que mal j’arrivai à Rambervillers, il était environ 13 h. Comme la déroute avait été mise sur toute la ligne, tout troupier isolé était rassemblé sur la place principale et au bout d’une heure nous repartions rejoindre notre Corps, moi je devais me rendre à l’hôpital militaire.
Je rencontre un cycliste du 41e Bataillon de Chasseurs à Pied de réserve, formé par le 1er Bataillon et les cadres actifs où j’avais beaucoup de camarades, ainsi que tous mes anciens de la classe 1910. Je pars avec ce cycliste où je trouvais le Bataillon à Bult, 6 kms de la ville.
Tout de suite, je suis entouré de tous ; ils viennent me demander des nouvelles du 1er Bataillon, principalement les capitaines Lehagre et Thierry, à qui je racontais les faits glorieux du Bataillon, mais aussi ses revers… Le capitaine Lehagre qui commande le 41e Bataillon m’ordonna de rester avec eux jusqu’à ce que je sache ou était mon Bataillon.
Nous couchons à Bult ; je me reposais assez bien après avoir mangé, souffrant très peu de ma blessure reçue le matin, ma maladie n’était en fait que de l’épuisement dû à la fatigue.

Mercredi 26 Aout 1914 : Après un réveil à 6 h, départ pour Rambervillers. Le 41e a pour mission de garder un Parc de munitions d’artillerie qui se trouve au Sud de la ville. Nous nous arrêtons un peu en avant du Parc, ou nous faisons la grand’ halte à proximité du village.
La pluie nous surprend, nous entrons dans le village à 20 h, on se fait sécher et on y couche.

Jeudi 27 Aout : Réveil 6 h, départ à 7 pour Rambervillers, il pleut toujours, nous nous mettons à l’abri dans une usine de tissage pour toute la journée ; à 20 h on part se coucher dans une ferme proche.

Vendredi 28 Aout : Toujours réveil à 6 h, je commence à me remettre un peu de mes fatigues ; ça va mieux. Mon bataillon est à 2 kms à St Gorgon, je dis au revoir aux camarades et je le rejoins.
En arrivant j’apprends que Bourgniat et Pornin, deux camarades de mon groupe, atlétiques, ont été tués ; à 8 h, nous reprenons position au Sud-Est de Rambervillers, nous sommes en 2e ligne. Le canon des deux côtés entre en action, les mitrailleuses fonctionnent et, à 17 h, nous repartons cantonner à St Gorgon ; quelques patates et nous essayons de dormir.

Samedi 29 Aout : Réveil 5 h, départ à 6 pour rejoindre nos emplacements de la veille, le long de la ligne de chemin de fer de Rambervillers à Bruyères, il est 6 ¼ , un épais brouillard nous enveloppe.
A 7 h 30, nos canons commencent à tirer ; à 14 h ce sont les Allemands qui bombardent Rambervillers ; à 17 h 30, nous faisons mouvement direction les bois de St Rémy où nous passerons la nuit.

Dimanche 30 Aout : dés 1 h 30 du matin, nous partons, le combat s’engage, les 17e et 20e Bataillons de Chasseurs sont en 1ère ligne, à 11 h notre capitaine est blessé, à 11 h 30 le lieutenant Forgeot est tué d’une balle en plein front.
A midi la 4e et 6e Cie du 1er Bataillon partent en 1ère ligne remplacer ceux qui s’y trouvent depuis le matin.
La fusillade redouble son action, nous sommes en 2e ligne, 100 mètres derrière ; les balles nous sifflent aux oreilles, mais n’atteignent personne ; à 14 h , c’est notre tour de passer en 1ère ligne, nous sommes à 80 mètres des Allemands.
Le 17e Bataillon a laissé beaucoup des siens…
Les Allemands mettent leurs mitrailleuses en batterie, et tirent sans arrêt, c’est effroyable. Calmon tombe blessé d’une balle à la cuisse, puis tué par une seconde en pleine poitrine…
Vaucquier, une balle lui traverse la visière du képi, lui coupe l’oreille et termine dans le bas de son sac ; ces balles étaient tirées de dessus des arbres, la 6e Cie en a surpris et tués 4 dans les arbres, ils visaient en priorité les gradés. A 16 h, ordre de repli, nous pouvons enfin faire un café sur le bord de la route aux abords de St Benoît où deux jours avant eu lieu une grande bataille.
Ma compagnie a 7 morts et 23 blessés. Nous apprenons qu’ il y a eu 8 officiers de blessés et 4 tués au Bataillon !
A 21 h on part cantonner à Malpertuis.

Lundi 31 Aout : Réveil à 7 h, toilette et réapprovisionnement en munitions, 220 cartouches chacun, plus 3 jours de vivres. 12 h 30, l’on reprend notre emplacement de la veille, le 31e Bataillon est engagé, à 16 h le 2e peloton de la 2e Compagnie part en première ligne, j’en fais partie ; la fusillade est terrible, les Allemands actionnent leurs mitrailleuses, mais plus prudents que le 31e, nous attendons que la fusillade se calme, car nous ne les voyons pas, nous ne pouvons pas tirer. Derrière les arbres nous attendons le moment propice.
Un homme du 31e vient nous prévenir de ne pas descendre, sa section toute entière vient d’être fusillée, il est le seul survivant ; il se met à côté de moi derrière un arbre, il n’y avait pas deux secondes, il reçoit une balle en plein cœur. Le pauvre diable m’a fait de la peine, il était couché, il tente de se relever, ramassant son fusil, fait un demi tour et retombe comme foudroyé.
Nous couchons sur cette position, toute la nuit nous entendons nos blessés crier, principalement un qui criait à boire, maman, et toutes sortes de plaintes à faire pitié…"


Source:  http://diables-bleus-du-30e.actifforum.com/t1792-albert-bergere-du-1er-bcp-1914-1915

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